38 témoins : Un beau portrait de la lacheté collective
Un corps de jeune fille retrouvé assassinée dans le hall de son immeuble, visiblement tuée en pleine nuit, et un coupable évaporé dans la nature: contrairement à ce que ce postulat de départ pourrait le laisser largement penser, 38 témoins, que j'ai vu en salles récemment, n'est pas un polar de plus qui verra un quelconque inspecteur mener une enquête permettant de démasquer le coupable à la fin.
A vrai dire, le coupable, nous ne connaitrons même jamais son identité. Du moins le coupable principal, car dans ce crime, une autre culpabilité va se faire jour, celui des 38 témoins ( d'où le titre) qui ont entendu les cris horribles de la victime, sans avoir la moindre réaction ( crier ou appeller la police) pour tenter d'empecher la tragédie qui se jouait à quelques mètres de leurs appartement.
Ce qui interesse Dider Decoin, auteur du livre dont est inspiré le film, et Lucas Belvaux, le réalisateur qui s'est chargé de l'adaptation, c'est bien d'essayer de comprendre comment des gens ordinaires, peuvent, par lacheté, faire preuve de non assistance à personne en danger, d'un seul élan, et ce, sans même se concerter. Mais il suffit qu'un seul de ces 38 témoins, pris par un accès de remord ou de culpabilité trop évidente, tienne un discours différent pour que l'édifice s'écroule et la honte d'affleurer.
Le sujet du film est donc réellement magnifique, et m'a totalement ionné. Dommage que tout n'est pas forcément du même niveau, et que le problème principal du film réside dans la faiblesse de certains dialogues, trop littéraires, trop écrits, notamment dans les têtes à tête entre Yvan Attal (qu'on a déja connu meilleur) et Sophie Quinton (au demeurant trés mignonne). Cet problèm,e que tout le monde ou presque décèle dès le premier dialogue du couple, déséquilibre pas mal le film puisque rendent artificielles ces scènes, mais ne le plombe jamais vraiment.
Car voilà l'exemple même du film dont le sujet transcende ses maladresses. Thème terriblement dérangeant puisqu'il nous interroge sur notre propre comportement ( et moi, aurais je appellé la police ou me serais je rendormi aprés les cris? pas sur que je sois plus courageux que ces gens),
Les questions que le film pose sont pertinentes, et Belvaux ne juge jamais le personnages de façon tropo accusatrice. En cela le personnage de la journaliste, interprétée par une sublime Nicole Garcia que j'aime comme cinéaste mais que je préfère encore comme actrice, voit ses convictions ébranlées par l'affaire : d'abord inquisatrice et voulant à tout prix dévoiler à la face du monde ce silence collectif honteux, elle va progressivement s'interroger sur les raisons de ces êtres qui souffrent de ne pas avoir osé intervenir cette fameuse nuit.
Et cette ambiguité permanente entre culpabilité et remords est accentué par l'athmosphère un peu évaporeux des décors, et notamment de cette ville du Havre qui inspire les cinéastes ( après le film du même nom de Kaurismaki), et qui ici, nous parait à la fois un eden (avec ce port et sa promesse d'ailleurs) et un enfer.
Film loin d'être complétement parfait, 38 témoins a l'immense qualité, comme dans les meilleurs Chabrol ou Hanecke, d'avoir l'intelligence de nous remettre en question. Un film qui ne prend pas son spectacteur pour un idiot et qui le pousse à le faire réfléchir à la sortie de la salle, c'est forcément un bon film, non?