On a Interviewé Olivier DUCRAY, le scénariste de l'ascension
Et si pour une fois, on parlait d'un film, non pas à travers son metteur en scène ni ses acteurs, mais de son scénariste??..
C'est vrai quoi, on a un peu tendance à les oublier, les scénaristes, surtout quand ce n'est pas le metteur en scène qui se charge de cette partie pourtant indispensable d'un film...
Figurez vous que personnellement, si j'avais pu atteindre mes rêves et faire la fameuse école de FEMIS étant plus jeune ( au fait, il faudra que je vous parle du film le Concours vu il y a déjà plusieurs semaines) c'est dans la section scénario évidemment que j'aurais voulu faire mes preuves, tant je me suis toujours plus interessé à la partie de l'écriture d'un film...
Mais bon, je ne suis nullement scénariste, et laissons donc la parole aux professionnels avec Olivier Ducray, un scénariste qui a d'ailleurs également été réalisateur d'un film, le très beau la Vie des gens sorti en 2015.
Comme ce scénariste/ metteur en scène est a fortiori un lyonnais, on a eu envie, à l'occasion de la sortie du DVD de l'Ascension dont on a changé les louanges jeudi dernier, de lui poser plusieurs questions pour mieux savoir comment le travail d'écriture, et notamment d'une adaptation d'un livre a pu se faire..et c'est Hermine qui s'est chargée d'aller poser les questions et de recueillir les ionnantes réponses d' Olivier..
Baz'art : Comment a débuté l’aventure de « L’Ascension » ?
Olivier Ducray : Laurence Lascary, la productrice du film – De l’autre côté du périph’(DA) – m’a appelé un jour, en 2011, pour me parler de ce livre et de son envie très forte de l’adapter. Nous nous étions rencontrés plusieurs années auparavant en Master et elle savait que j’écrivais. J’ai lu le livre que j’ai adoré. Il y a une énergie, une sincérité et une façon de raconter, sans pincettes ni fioritures d’aucune sorte, qui m’ont beaucoup plu.
Elle m’a présenté Nadir Dendoune, l’auteur du livre – je me souviendrai toujours de cette première entrevue dans un café à Bastille... – et le courant est tout de suite é. En tant que « grand blond bourgeois lyonnais » je n’avais a priori rien en commun avec Nadir, Franco-Algérien (et Australien) ayant grandi au cœur du 93.
Rien en commun, sauf des valeurs et une sensibilité. Il m’a fait confiance. J’ai eu de la chance car c’était évidemment la condition sine qua non pour avancer ensemble.
Baz'art : Ce film est donc une libre adaptation de l’ouvrage « Un tocard sur le toit du monde » de Nadir Dendoune (Lattès, 2010). Comment s’est ée l’écriture du scénario ? Souhaitiez-vous à la base reprendre un maximum d’éléments issus de son récit ?
Olivier Ducray : Nadir avait pris un risque en choisissant de confier l’adaptation de son livre à une jeune productrice pour qui ce serait le premier long-métrage – il avait eu bien d’autres sollicitations mais souhaitait poursuivre cette aventure avec des gens pour qui ça ferait « sens ».
De manière naturelle, il demandait à être associé à l’écriture du film, pour que celui-ci ne trahisse pas son propos. Dans un premier temps, j’ai « dépecé » le livre pour en extraire un séquencier – l’ossature du livre, tous ses points de age – et voir parmi ce séquencier ce qui devrait figurer impérativement (ou non) dans le film.
On a travaillé avec Nadir pour faire de ce séquencier de livre un séquencier de film, avec des suppressions, des ajouts, de nombreux choix.
Nous avons ensuite travaillé sur la caractérisation des personnages puis l’écriture du scénario à proprement parler, en collant à ce stade à l’ADN du livre. Dans un deuxième temps, et sous l’impulsion de Ludovic Bernard, le réalisateur du film, nous avons retravaillé pour « ouvrir » un peu plus le film sur un registre grand public, plus populaire, au sens noble du terme.
La version finale du scénario est peut-être moins « militante » ou « rageuse » que ne l’était le livre très personnel de Nadir mais elle est plus efficace. Il fallait faire coïncider une exigence artistique avec un impératif économique – ce n’était pas un « petit » film à monter...
Baz'art : Dans quelle mesure Nadir Dendoune est-il intervenu dans l’écriture du scénario ? Y’a t-il des épisodes de son aventure, de son incroyable histoire, auxquels il tenait tout particulièrement ? Des rencontres qu’il souhaitait absolument voir apparaître dans le film ?
Olivier Ducray : J’ai énormément travaillé avec Nadir durant les premières phases d’écriture, pour apprendre à la connaître, me nourrir de son expérience, de ce qu’il est – un personnage en soi ! – et glaner un maximum d’anecdotes sur cette ascension qui ne figuraient pas nécessairement dans le livre.
Parmi les ages auxquels il tenait absolument il y avait une scène de masturbation dans sa chambre d’hôtel à Katmandu (ce n’est pas une blague).
Je pense qu’il savait qu’on ne pourrait pas la garder mais ça le faisait marrer d’insister. Nadir tenait absolument aussi à rendre hommage aux sherpas, les vrais héros selon lui et pour beaucoup des alpinistes un tant soit peu lucides qui ont tenté l’Everest. Il était très à l’écoute mais évidemment attentif à ce que les attitudes de « son » personnage ne soient pas trop décalées par rapport à ses attitudes à lui.
Dans un second temps, il a fallu se détacher de lui, de l’histoire vraie, du vrai Nadir, pour créer un personnage de fiction, complet, efficace, avec son moteur propre et ses failles. Nadir a bien compris cet impératif de recul – nous n’étions pas dans le biopic au sens strict du terme mais bien dans une aventure « librement inspirée de... ».
Cette prise de distance était indispensable. L’apport de Ludovic a été précieux à ce stade. Il était affectivement plus détaché que je ne l’étais de Nadir – il le connaissait moins, il était donc plus libre d’une certaine façon. Il nous a fait profiter par ailleurs d’un très grand sens de la narration, après notamment de nombreuses années ées aux côtés de Luc Besson.
Baz'art : Gravir l’Everest sans aucune expérience de la montagne n’était pas le premier coup d’éclat de Nadir Dendoune. Il a notamment fait un Paris-Sydney en VTT en 2001 afin de sensibiliser le monde à la lutte contre le sida. Pour vous, est-il une sorte de héros ? D’exemple à suivre ?
Olivier Ducray : Nadir a aussi fait bouclier humain à Bagdad au moment des frappes américaines de 2003... entre autres faits d’arme. C’est en effet une sorte de héros car il est d’une intégrité et d’une liberté que l’on a rarement l’occasion de côtoyer dans sa vie. Il peut du coup être parfois extrême ou radical dans ses positions ou sa manière de les exprimer – choquer ne le dérange pas et caresser dans le sens du poil n’est clairement pas son truc – mais c’est globalement assez rafraichissant.
J’ai souvent l’occasion de lire avant qu’il ne les publie ses "Chroniques du Tocard" (Courrier de l’Atlas, chaque mardi). Il me demande mon avis, c’est flatteur. Je ne partage pas toujours ce qu’il dit mais j’aime sa liberté de ton. Il est clairement un exemple pour bon nombre de jeunes car il est l’incarnation d’une réussite qui ne doit pas grand-chose à grand monde, surtout sans se trahir, trahir les siens, ce qu’il est, d’où il vient.
J’ai pu mesurer pendant les avant-premières du film, et notamment l’une d’elles à Stains (93), à quel point « la banlieue » était heureuse, soulagée même, qu’on parle d’elle sans montrer de drogue, de flics, d’embrouilles, de voitures calcinées... en gros, sans poncifs.
Les gens étaient émus aux larmes. Je me suis aperçu vraiment à ce moment-là du fossé dramatique qu’il y avait entre chaque côté du périph’. Nadir a toujours des mots encourageants pour les jeunes, il leur fait du bien.
Baz'art : Et vous, seriez-vous prêt à gravir des montagnes par amour ?
Olivier Ducray : Franchement, le mont Ventoux peut-être. En vélo il paraît que c’est super joli ☺
Baz'art: En plus d’écrire des scénarios, vous êtes réalisateur. Notre rédacteur en chef avait d’ailleurs fait un article sur votre documentaire « La vie des gens » à sa sortie, en 2015, un film qui lui avait beaucoup plu. Quelle est la prochaine étape ? Avez-vous un film, un scénario en cours ? On croise les doigts pour que vous nous disiez oui !
Olivier Ducray : Et je vous réponds avec un grand Oui ! J’ai beaucoup de projets en cours dont un qui devrait être mon premier long métrage de fiction comme réalisateur et qui s’appelle « A côté de la plaque ».
Dans le meilleur des cas je tournerai au premier semestre 2018... mais le cinéma c’est une course de fond, c’est du fractionné, tout peut prendre énormément de temps.
Je suis aussi impliqué dans l’écriture de plusieurs autres longs métrages comme scénariste, à différents niveaux et différents stades. Je tourne par ailleurs cette année un documentaire pour la télévision (L et 3 Régions) autour d’un médecin qui prend sa retraite mais n’est pas remplacé, « Derniers jours d’un médecin de campagne... ».
J’ai pas mal d’autres projets car on ne sait jamais lequel des dix développements qu’on initie aujourd’hui nous fera manger demain. C’est le jeu, et on peut dire que j’aime ça.
Baz'art: Merci beaucoup Olivier d'avoir pris la peine de répondre à nos humbles question !
Olivier Ducray : Merci aussi à vous de vous intéresser aux travail des scénaristes...