L'Adieu à la nuit (critique) : André Téchiné peut encore faire de (très) beaux films!
ON le reconnait, non sans une certaine tristesse: ces dernières années, à part un excellent "Quand on a 17 ans", en 2016, ;les dernières livraisons d'André Téchiné, qui continue de filmer à un rythme que ne renierait pas Claude Chabrol, nous avaient au mieux gentiment ennuyé, au pire ablement contrariés, comme c'était le cas pour son dernier long métrage le très médiocre Nos années folles avec pourtant un excellent duo d'acteurs aux commandes.
On en attendait du coup pas grand chose de son nouveau film, à 76 ans és, et on avait tort. L'"adieu à la nuit", son 26ème long métrage, qui sort mercredi en salles, est un excellent long métrage, qui fera sans doute partie des meilleurs de sa très prestigieuse filmographie, quelque part entre "Hotel des amériques", " Les roseaux sauvages, Rendez vous", "Ma saison préférée") ou "Les témoins".
A croire que l'équation : Kacey Mottet-Klein + présentation au festival de Berlin qui caractérisait déjà "Quand on a 17 ans" porte chance à Téchiné!
On a toujours énormément aimé le cinéma de Téchiné, bien sûr quand celui ci est à son meilleur, tant ce cinéma plein de romanesque, voire de lyrisme sur des sujets du quotidien ou d'actualité parfois cruel, voire morbide.
A la façon d'un film comme les roseaux sauvages, qui sondait l'irruption de la guerre d'Algérie dans la profonde, le scénario de Téchiné et de Léa Mysius voient comment le phénomène de déradicalisation islamiste , dont on parle beaucoup ces dernières années dans le média et au cinéma peut bouleverser une rurale a priori écartée de cette problématique.
Le cinéma français, qui pourtant, est souvent frileux lorsqu'il s'agit de traiter des sujets sociétaux ou d'actualité brulante n'a pas hésité à aborder celui de 'embrigadement radicalisé et le djihadisme avec des bonheurs divers, que ce soit dans Made in , Le Ciel Attendra ou encore le récent Exfiltrés, mais ne l'avait encore jamais fait avec une telle ampleur ( visuelle et scénaristique) et une telle réussite.
Au départ de ce projet, André Téchiné s'est longuement appuyé sur l'excellent travail de journaliste de David Thomson, qui a suivi pendant plusieurs années ( jusqu’à 5 ans et certains jusqu’à la mort) une centaine de jihadistes (tunisiens, français, belges, suisses), menant entretiens et reportages.
Dans son livre les français jihadistes, il raconte l’histoire de quelques uns en leur donnant la parole une fois de retour en , en revenant sur les raisons qui les ont poussé à partir en Syrie et en leur demandant comment se sont ées les choses une fois là bas.
Partant de ce matériau brut, André Téchiné ne s'est pas contenté de réaliser un film naturaliste, proche du documentaire, comme on aurait pu le faire pas mal de ses collègues, mais a réussi à tisser une fiction pleine d'humanité et de romanesque.
Dans cette intrigue captivante, on y retrouve des obsessions très "téchiniennes", comme la responsabilité morale, la construction identitaire, les liens du sang et la tentation de la transgression, mélant formidablement dans un seul et même élan tragédie familiale intimiste et commentaire plus général sur notre époque rongée par l’individualisme et le consumérisme. et ces jeunes en quêtes de sens et de spiritualité .
A travers cette histoire d'une grand-mère- Catherine Deneuve, l'éternelle complice du cinéaste, qui pour sa 8ème collaboration trouve sans doute un de ses meilleurs rôles- qui est coincée dans un dilemme personnel lorsqu’elle découvre que son petit-fils va partir en Syrie combattre aux côtés de l’Etat islamique, Téchiné nous offre une oeuvre aussi simple et épurée dans sa narration que riche et dense émotionnellement parlant.
En évitant toujours le piège du manichéisme et du didactisme (ce qui n'était pas toujours le cas des autres fictions qu'on a cité précédemment), André Téchiné pose un regard sans jugement moral sur ses personnages (même les personnages secondaires, avec notamment ceux de Youssef, l'associé de la grand mère et Fouad, personnage qu'on croirait sorti des téchiné des années 80/90, de "Rendez vous" ou "J'embrasse pas") ou ses situations, uniquement motivé par un désir de comprendre l’incompréhensible et de nous montrer la grande complexité morale qui les anime .
L'immense Catherine Deneuve (qu'on a vu moins à son avantage dans des films récents) et le décidemment éblouissant Kacey Mottet-Klein ( à peine revenu d'un moins bon long métrage de Joachim Lafosse où il était déjà un jeune homme à cheval plein de colère) révelent parfaitement leurs dilemnes moraux, d'un côté le désespoir de cette grand-mère impuissante et de l'autre, son petit-fils englué dans un mal-être perceptible.
Subtil, tragique et bouleversant, cet "adieu à la nuit " nous montre qu'il ne faut jamais complètement enterrer un (très) grand cinéaste....